Les "Miss" de l'ALAT en Algérie

Elles avaient 20 ans, l'âge d'être belles et courtisées, dans l'insouciance de l'actualité et de la souffrance de combattants d'une guerre, si loin de la France. Mais ces jeunes femmes n'étaient pas comme les autres, elles avaient été touchées par une grâce qui les sublima.

Elles se mirent, comme religieusement, au service de ceux qui souffrent, défiant le danger et la mort elles quittèrent la douceur de la vie pour épouser la guerre et apporter leur sourire aux combattants blessés et adoucir les derniers instants des mourants sans distinction, français ou insurgés.

Femmes admirables, aussi vite oubliées par l'histoire que les combats où elles risquèrent leur vie. Elles aussi elles ont écrit l'Histoire avec leur courage et même leur sang. Y aura-t-il un jour un historien pour les faire sortir de l'anonymat ?

Leur discrétion, leur pudeur et leur modestie les a fait s'effacer la paix revenue. Avec nos faibles moyens nous leur rendrons tous ensembles avec vos souvenirs, l'hommage qu'elles méritent, plus de 50 ans après.

Je n'ai pas, ici, l'ambition de réparer tout seul cette injustice, je ne suis pas l'homme de l'art capable de rapporter leurs faits d'armes et les hisser au pinacle, mais je me dis que parmi nos nombreux camarades qui ont eu l'honneur de servir les Armes de la France sur tous les théâtres d'opérations d'Algérie, certains ont, sans doute, des récits à nous rapporter. C'est pourquoi j'ouvre toute grande cette page, afin de, peut-être, reconstituer la mémoire de ces Dames d'Honneur. Je cantonnerai cette page aux "Miss" qui servirent dans les unités de l'ALAT, car s'il fallait écrire l'histoire de toutes les IPSA, ce serait un gros volume qu'il faudrait publier et je n'en ai ni la matière première, ni les capacités.

Vous qui avez vécu ces heures de gloire de notre Arme aux combats, et qui avez été les témoins directes du courage et du dévouement des Miss, merci de nous en faire part, et ainsi réparer l'oubli par ce travail de mémoire. Merci d'adresser, textes, photos ou documents par courrier électronique ou postal. Le temps est compté pour ce travail de mémoire dans vingt ans il sera trop tard. Nous savons compter sur vous pour témoigner, ne laissez pas à des historiens en mal de copie ou pire en mal de notoriété, le loisir de réécrire cette Histoire à leur façon.

JJ Chevallier

Nicole Aubry-Gourmelen dite "Bouchon"

Un premier hommage anonyme lui fût rendu à cette époque déjà lointaine et pourtant tellement présente dans l'esprit de "ceux  qui y étaient". Un soldat blessé, qui s'en était sorti grâce à elle, lui dédia un poème extrêmement émouvant qui illustre le dévouement de ces femmes d'Action et de Paix.

Blesse Poeme AUBRY

Aujourd'hui l'Ange a rejoint, au Paradis, tous les combattants qu'elle avait vu mourir et qu'elle avait accompagnés en allégeant leurs ultimes souffrances par sa présence réconfortante. Soyons assurés qu'ils lui ont fait une haie d'Honneur pour l'accueillir parmi eux.

Bouchon AG 2009AVEC Jean Gourmelen son mari,la dernière apparition de Nicole au groupement ouest en 2009.

Le 2I juin 2009 à Capbreton, le colonel Yves Durosoy commandeur de la légion d'honneur a remis à Nicole Gourmelen, les insignes de chevalier de la légion d'honneur. Cette distinction attribuée par décret du président de la république, sur proposition du ministre de la défense, Hervé Morin, vient récompenser la carrière de l'ancien sergent au service des armées, infirmière-parachutiste connue sous le nom de " Bouchon ", dans les rangs du groupe d'hélicoptères n° 2 en Algérie de 1951 à 1959, ainsi que pour de nombreux govenais. Cette distinction vient s'ajouter aux nombreuses décorations qu'elle avait déjà reçues : médaille militaire, croix du combattant, croix de la valeur militaire, médaille des blessés de guerre ...

L'engagement de Nicole Gourmelen à Goven l'a conduite au conseil municipal, comme conseillère de 1971 à 1983, puis comme adjointe de 1983 à 2001. Elle a œuvré en particulier pour le développement de la vie culturelle, en créant la bibliothèque et en la faisant évoluer au fil du temps, pour le développement de l'action sociale au CCAS. Cet engagement a été aussi fort dans les associations d'anciens combattants, à ACTION, aux Restos du cœur, à Ille-et-Vilaine/Pologne, au CRIC, à Sambrana... Un mois après la remise de la légion d'honneur, l'ancienne infirmière parachutiste " Bouchon " effectuait son dernier grand saut.

La Miss du groupement ouest était un petit bout de femme par la taille, d'où sans doute sons pseudonyme "Bouchon", mais une très Grande Dame par ses qualités de cœur. Tous les présents auront noté, pendant la messe de sépulture lors des éloges funèbres, à quel point Nicole était une femme qui s'investissait partout où il y avait un besoin d'assistance. Présente sur tous les fronts, sa vie fût dédiée au don de sa personne pour aider les plus démunis et apporter son soutien au plus faibles. Suivant ainsi, ce qu'elle avait commencé à vingt ans alors qu'elle débarquait, en 1957, en Algérie au GH2 à Sétif pour porter secours aux blessés au plus près des combats.


 Nicole Aubry est née deux fois. Bien entendu, je n’ai pas entendu ses premiers vagissements.

Mais pour assister à sa naissance au métier des armes j’y étais. Enfin nous y étions pour voir, au début de l’année 1957, au Groupe d’Hélicoptères n°2, à Sétif en Algérie, des jeunes femmes se présenter crânement à un millier d’hommes de guerre un peu dubitatifs.
Les Rois Mages étaient trois ; elles allaient par quatre. Guilaine, Christine et les deux Nicole.
Leur carte de visite : Infirmière – Parachutiste - Secouriste de l’Air, on fait difficilement mieux.
Tout de suite mises à l’épreuve du terrain, elles ont fait des sceptiques bougons de la veille, les partisans les plus convaincus par leur professionnalisme. Et par leur sourire en prime.

C’est dans ces circonstances que Aubry, la petite Nicole pour la différencier de l’autre, laissant là son état-civil comme on abandonne une peluche, est devenu « Bouchon ». Nombreux sont ceux qui ne l’auront connue et plus tard identifiés que par ce nom de guerre.

Infirmière de terrain portant et hissant les blessés dans nos hélicoptères, soignant, parlant aux éprouvés, calmant les inquiets, heureuse mais vu parfois attristée du sort de ses protégés d’un instant, elle aura tout connu des misères de la guerre et les aura surmontées sereinement. Dans ce monde de feu, elle fera son métier de paix avec passion, trouvant là notre respect et notre affection. Elle-même blessée, décorée, médaillée militaire et récemment admise dans la Légion d’Honneur. Sa croix était vraie, le rouge du ruban n’était en rien comparable à celui des hochets de circonstance trop souvent bradés.

La vie passant avec « Gourmille », leur arbre généalogique a feuillé. Tout en quenouilles, c’était assez tendance à l’époque. Je suis là pour le confirmer.

Bouchon, revenue pour la circonstance Nicole, à longtemps participé à la vie municipale de Goven et animé les échanges culturels. Là aussi avec passion et grande gentillesse.

Aujourd’hui, puisque son combat est achevé, ma grande tristesse ne m’empêche pas de croire que l’âme de petit Bouchon flotte maintenant sur l’océan infini de l’immortalité. "

Jean Bonnein le 28-07-2009


En 1958, j’étais un ‘’BARON’’, servant sur T 6, à Sétif. Ainsi je fut amené à connaitre les 4 IPSA qui servaient au GH-2, Christine , Guilaine, Nicole et la Petite Nicole que familièrement nous appelions BOUCHON . Nous avions de l’admiration pour le courage de ces jeunes femmes et pour le travail qu’elles accomplissaient dans des conditions difficiles. En outre, nous étions invités presque en permanence dans leur bâtiment du GH-2, où elles installaient pour nous une table de bridge et si nous n’étions que trois, elles n’hésitaient pas à faire le quatrième joueur.
J’étais pour quelque temps le chef du détachement Air à Bougie quand un beau matin de Juillet un hélicoptère de l’ALAT se pose sur le parking peu après 08h. Qui en descend ? Bouchon.

L’hélico repart et Bouchon, en battle-dress couvert de tâches sombres vient vers moi et me demande abruptement si je peux la conduire vite dans un hôtel en ville. La jeep est là, je la prends et nous partons.
En route, plus calmement elle me dit : « Nous sommes sur une opération depuis deux jours ; il y a beaucoup de blessés. Voilà 2 nuits que je ne dors pas ; je suis crevée, j’ai besoin de dormir un peu et surtout de prendre une douche. J’ai du sang partout dessus, dedans car depuis hier j’ai mes règles mais dans le djebel je ne peux m’isoler un instant. Il y a toujours un gus à trainer derrière mes fesses!»

Nous arrivons à l’hôtel. « Merci lieutenant, je me débrouille. Pouvez-vous me chercher dans deux heures ? Disons onze heures. » Je suis présent devant l’hôtel à l’heure fixée. Elle est prête. Durant le trajet retour je l’invite à déjeuner sous la tente-réfectoire avec mes pilotes et mes sous-officiers mécaniciens. « Merci c’est très gentil à vous mais je ne peux pas, des blessés m’attendent. D’ailleurs voilà mon hélicoptère qui vient me chercher à l’heure fixée. »

Je n’ai jamais revu Bouchon, Mais je fus très impressionné par elle ce jour-là. Fatiguée, usée, énervée elle se retrouvait requinquée après une douche et seulement 2 heures de sommeil. Malgré un manque de tact de certains hommes à son égard qui heurtait sa pudeur, elle repartait vers eux se mettre au service de ceux qui ont besoin de soins ou de réconfort.

Quel exemple de dévouement.

J. Arraul, octobre 2010

 


Françoise Mathurin - Vignon

"En avril 1958 j’arrivais au GH 2 pour n’en partir qu’en 1962. C’est dans cette unité que j’ai connu nos IPSA. J’ai travaillé avec l’une d’entre elles sur Sikorski H 19 D3 avant d’être sur Vertol H21 et dès que je trouve un moment je vous enverrai une anecdote sur elle qui vous montrera le courage de ces « miss » comme nous les appelions. L’une d’entre elles avec laquelle j’ai encore des contacts suivis m’a envoyé des photos que je vous fais suivre. Elle se nomme Françoise MATHURIN épouse VIGNON (un camarade de promo de Saint-Cyr, pilote au GH 2 avec moi). Elle avait fait la une d’une revue militaire publiée en Algérie à l’époque « Bled ».

Malheureusement je n’ai aucune photo de ces femmes mais je me rappelle de leurs noms. Si j’en ai oubliées qu’elles me pardonnent. En plus de Françoise MATHURIN, il y avait Huguette IZOARD, Christine de MERVILLE, Nicole AUBRY (alias Bouchon), Madeleine BONNODEAU, décédée malheureusement il y a très longtemps à la suite d’une terrible maladie, épouse d'Yves TATIN, décédé (officier pilote au GH2), Nicole JANTEUR, Guislaine GARNIER épouse de BRUSADELLI,  (un autre camarade de promo décédé), Odile TOMMY-MARTIN.

IPSA ParpillonNoël 1959 GALAT 101, Sétif, le capitaine Parpillon†, Nicole Aubry† "Bouchon" et Nicole Janteur. (Photo fournie par Pierre Jarrige)

Janteur NicoleLa "grande Nicole" Janteur et la "petite Nicole" Aubry.

Janteur Nicole 2Nicole Janteur,on voit ici le macaron ALAT, deux insignes IPSA et l'insigne du Peloton Avion de la 11ème DI.

Colonel Ange Baggioni, juillet 2009


 Madeleine Bonnodeau

C’était en février 1960, au moment des grandes opérations « Pierres Précieuses ».
Le GH 2 avait mis en place un gros détachement de moyens aériens à Rédjas à quelques kilomètres à l’ouest de Constantine. Un grand terrain permettait le stationnement de Bananes, un Sikorski H 19 D3 sanitaire, des pipers du peloton de la 19ème DI. Une tente salle OPS avait été installée sur le terrain. Les équipages étaient logés dans un bâtiment en dur mis à la disposition des personnels par un colon du coin.

La troupe venait d’accrocher un groupe de rebelles retiré dans une très grande ferme qu’ils défendaient avec acharnement. Pilote du Sikorski J’étais déclenché pour la première évacuation sanitaire. J’embarquais la miss Bonnodeau à bord. Arrivé sur les lieux, je constatais que des tirs très fournis contraignaient les troupes à rester plaquées au sol. Par prudence je me posais assez loin et un peu protégé par un talus. Je n’ai pas eu le temps de donner des conseils de prudence à la miss que je la vois partir brancard sous le bras. Après s’être rapprochée des troupes couchées au sol, elle donne des coups de pieds à un soldat pour le faire lever afin de l’aider à charger un blessé sur son brancard au dépit des tirs des rebelles, faisant fi du danger ambiant. J’étais très inquiet pour elle. Au bout de quelques instants je la vois revenir vers moi, radieuse, avec son blessé.

Quel bel exemple d’abnégation et courage de cette jeune femme qui au mépris du danger ne pensait qu’à une chose, porter secours à son blessé. J’étais tellement ému et admiratif que j’ai voulu qu’elle soit décorée pour cette acte de bravoure. Malheureusement mon patron ne m’a pas suivi.

J’ai eu l’occasion beaucoup plus tard de la rencontrer à Rennes alors qu’elle était mariée à un camarade le colonel TATIN. Bien sûr nous avons échangé des souvenirs. Malheureusement elle a quitté notre monde assez jeune terrassée par une implacable maladie. Elle a encore fait preuve d’un très grand courage en organisant ses obsèques et en réglant tout avant de partir. Quelle femme exceptionnelle ! Quelle grandeur d’âme !

« Bonnodeau » jamais je ne vous oublierai !

Colonel (H) Ange BAGGIONI, Llupia le 27 novembre 2010

H19DH-19 D3 du GH2 à Sétif Photo Collection Ange Baggioni